En janvier 2001, Edmond Simeoni accordait un entretien à la revue Confluences Méditerranée. Nous étions alors en plein processus de Matignon. Encore une réflexion cependant qui reste cruellement d’actualité et devrait inspirer l’Etat au moment où un nouveau premier Ministre, donc en théorie une nouvelle politique, fait son entrée à Matignon. Extraits.
«Le bilan de la politique menée par l’État en Corse est plus que contrasté. Certes l’intégration à une grande nation a garanti à l’île la sécurité extérieure et conféré à ses enfants la possibilité de trajectoires individuelles réussies et quelquefois brillantes, notamment dans l’appareil d’État ; certes, les gouvernements successifs ont, depuis plusieurs années, consenti des efforts financiers conséquents. Certes enfin, les liens sont étroits et incontestables, et rares sont les Corses à envisager une rupture totale avec la France. Rappelons néanmoins que si la Corse, qui était un pays indépendant, doté d’une constitution écrite – la première d’Europe –, est devenue française en 1769, ce n’est pas par la vertu du droit mais par la force des armes : une conquête militaire brutale, prolongée pendant des décennies par une répression féroce. Que l’île a eu à subir, pendant plus d’un siècle, une loi coloniale taxant les produits à l’exportation et détaxant les produits en provenance de métropole, avec pour conséquence la ruine totale de l’économie locale. Qu’elle a payé sans barguigner l’impôt du sang, sans jamais avoir droit à la création d’infrastructures de santé, de transports, de formation, de financement. Que son Peuple a été nié dans son existence, dans ses droits, dans sa langue et dans sa culture. Ces réalités historiques ne nous exonèrent pas de nos responsabilités propres, pas plus qu’elles ne nous confèrent un droit de créance inépuisable sur l’État. Mais elles interdisent à tout le moins aux responsables politiques français de traiter les Corses avec ce mélange d’exaspération teinté de condescendance, qui traduit souvent l’ignorance, et quelquefois la xénophobie. Il faut rompre avec de telles attitudes et les remplacer par le dialogue vrai, en vue de la définition d’une solution contractuelle satisfaisante pour toutes les parties.
(…) La Corse n’a pas vocation à défaire la France pas plus qu’à la refaire. Le Commissariat général au Plan, en collaboration avec la DATAR, dans un rapport récent (n° 7 du 14 février 2000), fustige « le poids d’une culture centraliste », « la multiplicité et l’émiettement des cadres territoriaux », « l’absence de pouvoir législatif des collectivités territoriales et la faiblesse de leur pouvoir d’auto-organisation », « la faiblesse de leurs moyens financiers ». C’est donc bien une nouvelle et immense réforme qui attend la France. Nous pourrions nous y retrouver, car nous n’aspirons nullement à bâtir un micro-État-Nation, totalement anachronique et inadapté. Néanmoins, la question corse ne se réglera pas seulement à travers une évolution institutionnelle. Il s’agit aussi et surtout d’une question fondamentalement politique qui pourrait se résumer ainsi : le peuple corse est une évidence historique et culturelle. Y a-t-il place pour cette évidence et pour son admission au sein de l’édifice politique et constitutionnel français ?
(…) Il est clair, et cette conviction est partagée par tous, que le plus sûr moyen de faire disparaître la violence politique est d’en supprimer le terreau, j’entends le non-développement, l’absence de démocratie notamment électorale, le déni de dignité, d’identité et de justice. Ce pari-là doit être relevé, à travers d’une part le retour à la paix civile, d’autre part et concomitamment grâce à la définition d’un pacte politique associant toutes les forces progressistes de l’île. À cet égard, l’obtention et la gestion heureuse d’un statut de large autonomie, comparable à celui dont bénéficient d’autres régions ou nations sans État d’Europe (la Catalogne ou le Val d’Aoste par exemple) peuvent fournir un horizon d’action et un point d’équilibre à la fois raisonnable et ambitieux. »